“Un couteau s’affûte avec une pierre. Fin de l’histoire.”
Auteur inconnu.
“Un couteau qui ne coupe pas, c’est comme un arrosoir percé. Ça ne sert à rien”.
Mon grand-père.
Le couteau est l’outil emblématique des aventuriers. Sur le terrain, ” dans la verte”, il sert à tout, tant comme outil que comme élément d’urgence face aux situations de survie et imprévus. Les points clivants de cet outil se trouvent du côté de son entretien et de son utilisation en sûreté pour l’usager, et l’entourage de ce dernier. Pour le reste, un couteau bien choisi et bien entretenu n’a que des avantages. Par entretien, il faut comprendre le nettoyage et l’affûtage régulier de sa lame.
Pour ce qui est de la sûreté, le bon sens est à mettre en avant et suffira bien souvent à lui seul à garantir le retour des aventuriers avec tous leurs doigts en place et l’absence de blessure sérieuse. Un couteau correctement entretenu (propre et affûté), rend efficacement service en tout temps et en toute heure. Régulièrement, quand l’utilisateur souhaite faire usage de sa lame et qu’il ou elle a été laxiste sur l’entretien de son matériel, il se produit le fait suivant : le couteau… ne coupe pas.
À partir de là, si la situation est urgente ou critique, c’est généralement un aller simple pour une mise en œuvre efficace de la loi de Murphy. Dans ma branche d’activité, les incidents impliquant au départ un couteau mal affûté sont nombreux : initialement mineurs, ils actionnent ensuite les mystérieux mécanismes de l’effet papillon. À tel point que dans certaines situations, l’absence d’une lame correctement affûtée dans le paquetage est un ticket pour le blâme pour faute professionnelle.
Comment affûter un couteau ?
Traditionnellement, ce sont les anciens qui transmettent ces savoir-faire aux plus jeunes. Affûtage ou aiguisage ? Concrètement, si l’on va à l’essentiel, c’est la même chose. Rendre sa lame coupante. Le but n’est pas de pinailler sur des détails linguistiques, mais d’être efficace avec un langage courant. À différencier de la remise en forme de la lame ou le tranchant n’existe presque plus. Avant de se lancer dans l’affûtage, il est utile de connaître quelques détails concernant l’acier des couteaux.
Un acier carbone (Opinel, Laguiole, Esee5) nécessitera une simple pierre à aiguiser sèche traditionnelle (de type pyrénéenne). Un acier inoxydable haut de gamme (gamme Aitor, une partie des lames de chez Wildsteer) nécessitera les mêmes pierres que les lames en acier carbone. Une lame en acier inoxydable d’entrée de gamme sera difficile à affûter quelle que soit la pierre utilisée. Elle conservera difficilement son tranchant. Les couteaux issus de la technologie des poudres nécessiteront quant à eux des pierres spécifiques (diamantées ou céramique) souvent fournies ou recommandées par le fabricant. La dureté de l’acier compte beaucoup dans le choix de la pierre. La dureté s’exprime en HRC. Plus le HRC est élevé, plus l’acier du couteau est dur et plus la pierre devra être abrasive et fine.
À titre d’exemple, la dureté moyenne pour un couteau outdoor commercial est comprise entre 50 et 58 HRC, même si la tendance commence à évoluer vers des lames au tranchant de plus en plus dur. Un couteau avec une dureté inférieure à 50 HRC (couteaux de plongée par exemple) s’émousse aussi vite qu’il s’aiguise – à une telle dureté, le couteau n’est pas recommandé pour un usage outdoor. À l’inverse, un couteau d’une dureté supérieure à 60 HRC est particulièrement résistant à l’usage si correctement trempé. Il conservera son tranchant intact beaucoup plus longtemps, mais nécessitera une pierre adaptée. La pierre doit avoir deux faces, un grain fort et un grain fin. Une face à 240 (coté fort) une autre à 800 (côté fin) suffit sur le terrain.
Un aiguisage rasoir est satisfaisant, mais sur la majorité des couteaux industriels de gamme moyenne, ne tient pas la durée. Inutile d’en arriver à un rasoir pour de petites remises en forme du tranchant sur le terrain, le test de la feuille suffit amplement (couper la tranche d’une feuille en une seule fois sans forcer). La pierre doit tenir dans une poche. Sinon vous ne l’emporterez pas. Les pierres japonaises sont excellentes pour la maison, mais pèsent leur poids. Il faut pouvoir l’emmener avec soi sur le terrain sans avoir à sacrifier une partie de son paquetage. L’aiguisage de son couteau ne doit pas être une contrainte, surtout sur le terrain. Il doit être possible à tout moment, sur une petite pause ou en quelques minutes avant d’attaquer le travail.
Il est inutile de tomber dans l’aiguisage compulsif, un couteau solide fait dans un acier solide va garder son tranchant efficace quelque temps. Si le tranchant n’a besoin que d’un rafraîchissement, qu’il accroche encore le gras du pouce, le côté fin de la pierre suffit. S’il n’accroche plus le pouce, si une sensation de tranchant rond se fait sentir, il sera nécessaire de commencer avec le côté fort de la pierre (en fonction de l’acier et du couteau !).
Lors de l’affûtage, l’angle du couteau sur la pierre doit être constant. Le plus simple étant de reprendre l’angle du tranchant d’origine en alternant d’un côté puis de l’autre : le tranchant doit conserver sa symétrie sous peine de subir une usure plus rapide d’un côté. On “sait” que le tranchant est correct quand ce dernier n’accroche plus la pierre lors du passage : toutes les aspérités dû à l’usure ont été “retiré”, lorsque le mouvement d’affûtage est réalisé, le tranchant glisse contre la pierre, il ne frotte plus. Le mouvement d’aiguisage va impliquer la création d’une bavure métallique, le ” morfil”.
C’est pour cela qu’il faut alterner d’un côté et de l’autre, pour éliminer ce surplus de matière. C’est cette partie du tranchant, le “fil” qui va couper. Soit de par son aspect légèrement dentelé (au microscope) soit de par son épaisseur (quelques microns) ces derniers paramètres sont fonction de l’acier du couteau et de la pierre employée. Dans le cadre d’un aiguisage, on passe le couteau sur la pierre en l’éloignant de soi. Le tranchant est de notre côté, la lame inclinée suivant le bon angle d’affûtage, on pose la pointe sur la pierre et en un seul mouvement l’on va pousser la lame sur toute la longueur de son tranchant. À partir de là, il suffit de reproduire le même geste de l’autre côté. Ou de répéter les gestes de manière dégressive d’un côté puis de l’autre. Ex : cinq passages côté droit, cinq côtés gauches, quatre côtés droits, quatre côtés gauches, etc.
Quand on emploie le côté fin de la pierre, on reproduit la même opération. La méthode est simple, mais avant de la maîtriser, il vaut mieux s’entraîner sur une vieille lame ou sur l’opinel du fond du tiroir – c’est un coup de main à prendre… La remise en forme du tranchant. Que ce soit suite à un travail lourd, la survenue d’une situation exceptionnelle ou la remise en forme d’une lame mal entretenue ou abîmée, il arrive qu’un simple aiguisage ne suffise pas. Pour cause : le tranchant est tout simplement émoussé. Quand le gras du pouce passe dessus, c’est une sensation d’arrondi, le fil n’accroche pas, il glisse.
Sur le terrain, cela se caractérise par une lame qui dérape sur l’objet qu’elle est supposée couper ou entailler. C’est le début d’une grande frustration, d’une grosse dépense énergétique, et potentiellement d’une invitation vers les urgences… Une lame “désaffutée”, qui ripe, finit souvent dans le doigt de son propriétaire… À ce niveau, l’affûtage ne sera pas suffisant. Il faut redonner forme au tranchant et il est plus aisé de le réaliser chez soi, au calme. Les grosses pierres deviennent très intéressantes pour ce type de tâche, car beaucoup plus efficaces de par leur grande surface que les petites pierres de terrain.
Le procédé va être le même, au détail près que cette fois si l’utilisateur va venir “couper” une tranche dans la pierre. Encore une fois en un seul mouvement pour toute la longueur du tranchant, et en donnant toujours le même angle à celui-ci. Il va être là aussi nécessaire d’alterner un côté puis l’autre, au détail près que les répétitions ne seront pas dégressives mais d’un nombre égal et cela jusqu’à ce que la lame accroche de nouveau le gras du doigt sur toute sa longueur : que le tranchant soit de nouveau uniforme. Une fois cet état obtenu, il suffit de repasser sur la pierre habituelle pour un aiguisage normal. Étant à domicile il peut être intéressant de pousser l’affûtage jusqu’au rasoir : rien de plus simple, il suffit de poursuivre les opérations d’affûtage en dégressif, avec des pierres de plus en plus fines (grain 1000, 2000, etc.) et de finir proprement au cuir et à la pâte à polir.
L’angle d’aiguisage pour une lame émoussée.
Il est nécessaire de surveiller attentivement cette étape : si on ne prend pas garde et que l’on “suit” l’angle initial, l’angle devient de plus en plus obtus et le couteau finit par ne plus rien couper même s’il accroche le gras du pouce. Il est nécessaire de réaliser un angle de 40° au grand maximum, au-delà le couteau ne coupe plus, il “écarte” les fibres et la matière.
Le respect d’un certain angle pour une remise en forme d’un tranchant émoussé va venir rogner dans l’émouture (la partie amincie de la lame). C’est parfaitement normal et ce ne sera pas visible si le travail est bien fait. Une fois le couteau de nouveau affûté et aiguisé, un bon coup d’huile (alimentaire ou non) sur la lame, et celle-ci est de nouveau prête à l’usage. Dernier mot, d’autres méthodes existent : backstand, meule, et d’autres encore. Elles demandent un savoir-faire particulier, car le risque d’abîmer ces lames définitivement est important, et pour certaines choses, il est nécessaire de prendre le temps de les faire bien. Enfin, pour un couteau outdoor, je ne recommande pas l’emploi du fusil d’aiguisage. Les tranchants sont beaucoup plus épais que les couteaux de cuisine, les fusils ne servent qu’à redonner un fil et sur le long terme, l’angle du tranchant finirait obtus et donc inexploitable. Certains aciers utilisés sont par ailleurs suffisamment durs pour entamer le fusil…
“On est affûté comme son couteau”.